vendredi 31 août 2007

You’re always a day away

La voix cette fois la hante. Où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse, il lui semble à chaque instant qu’elle tente d’imposer sa parole en elle, comme si elle voulait la dominer.
Derrière cette voix pourtant il y a un homme. Jeune elle le croit. Et tandis qu’elle pense à lui, essaie de se figurer une physionomie, un visage, des souvenirs tentent de se frayer un passage dans cette tête toujours trop pleine. Une enfance, des couleurs vives, un éblouissement qui traverse les feuilles des arbres, en dessous une balançoire et d’autres enfants plus loin. Leurs cris inventés viennent couvrir la voix de Gaspard F. plus loin encore, une filiation. Une mère ou un père, ou une grand-mère c’est plus probable.
Adèle s’appellerait-elle. Mais cela est impossible et trop dangereux. Elle ne peut se laisser aller à pareilles inepties, alors elle convoque la voix plus fort encore, se laisse convaincre, persuader qu’elle ne s’adresse qu’à elle. Eux deux seuls savent. Bientôt elle se rendra sur les lieux, se posera comme souvent sur le petit coin de trottoir juste là, à l’angle d’où il lui sera facile de voir d’observer. Et cette fois elle attendra. Elle attendra toute la journée s’il le faut, puis peut-être une partie de la nuit. Elle s’achètera des cigarettes et ce jour elle commencera à fumer. Elle observera, prendra une photo mentale de chaque visage aperçu. Puis alors que la nuit sera bien installée, qu’elle aura fumé quelques dizaines de cigarettes elle partira pour revenir le lendemain. Il lui faudra peu de temps pour croiser les visages et les faire correspondre aux voix.
Peu de temps c’est sûr.
Alors le bruit se taira peut-être… alors elle comprendra, ils parleront et elle lui expliquera qu’elle sait, qu’elle a compris, que grâce à lui aussi, elle est sûre.
Demain elle ira acheter des cigarettes.

lundi 9 juillet 2007

Résistance

Et si elle s'était trompée simplement...

Si elle avait rêvé...

jeudi 28 juin 2007

Indigeste

La table est dressée. Une chaleureuse et délicate odeur se répand depuis la cuisine d’où proviennent des voix de femme. Elles s’affairent tout en discutant, échangent leurs inquiétudes comme les banalités qui traversent leur vie. Le fils de celle-ci trouvera-t-il un jour une femme ? et la fille de celle-là qui veut partir, s’émanciper ? qui sait ce qui l’attend…
Les hommes eux attendent patiemment au salon. A peine prononcent-ils quelques mots. Ils savent que s’ils parlent la réalité sortira de leur bouche. Et cette réalité leur est interdite.
Parce qu’ils sont pères de famille, leur charge est de continuer à avancer, à faire tenir cet équilibre précaire, surtout en ces périodes torturées. Ils n’ont donc pas le droit de s’inquiéter ; ils n’ont pas le droit de voir.
Aussi, lorsque les femmes évoquent l’ombre qui les préoccupe au fond plus que tout le reste font-ils semblant de ne pas y croire. Evoquent le passé comme s’il pouvait aussi servir d’avenir… Comme si le danger que perçoivent les femmes pouvait être évité. Les contourner doucement, et… les épargner.
Bien sûr, il faut croire en l’avenir, y croire et s’en convaincre, c’est le seul moyen évidemment de continuer à vivre, sinon comment faire ? N’a-t-on pas toujours fait ainsi ?

Comment faire lorsque l’on est un père ou que l’on est une mère. Plus que de la vigilance, plus que de l’intelligence, plus que de la clairvoyance on vous demande de poursuivre… de poursuivre avec les enfants.
Certains ont su les protéger. Partir à temps en croyant au pire et en s’y accrochant comme un devoir. Ne jamais oublier que certaines choses progressent même si on ne les a pas face à soi, qu’une fois qu’elles sont enclenchées, il est très rare de pouvoir les éviter.
Ne fallait-il pas une bonne dose de pessimisme pour oser croire qu’en restant on mourrait ?
Ne fallait-il pas avoir perdu la confiance en ses rêves d’enfant ?

Les femmes sortent finalement de la cuisine, le sourire imposé aux lèvres et les bras chargés de cette nourriture réconfortante, de ces fêtes où l’on partage, où l’on se souvient, où l’on ressent comme des millions d’autres une sorte de permanence.
Alors on demande aux enfants d’aller se laver les mains avant de passer à table.
Ce soir encore on évitera de voir ou d’entendre. L’Allemagne restera un pays lointain, très lointain, dont les perfides velléités ne peuvent pas nous atteindre…

lundi 25 juin 2007

S.N.O.Bproject

De nouveau dans la petite chambre de bonnes, elle essaie de reconstituer les choses.
La voix est une chose étrange, surtout lorsqu’elle précède l’être.
Ce n’est pas que celle-ci soit particulièrement belle, à bien y réfléchir il est difficile d’aimer une voix pour elle-même, souvent le visage et l’expression dont elle se fait messagère deviennent indispensables à ce que l’on réalise que l’on en aime la tonalité, le grain parfois… Pour les chanteurs c’est différent sans doute. Mais apprécierait-on autant sa voix s’il n’y avait pas Jean-Louis Trintignant derrière ?
Ou Chiara Mastroiani et ce phrasé tout à fait particulier doux et nonchalant emprunt d’une petite pointe de chic parisien, une voix de bobo en somme, dans le bon sens du terme…

La liste pourrait être longue et finalement, c’est peut-être le visage que l’on apprécie dans la voix, lorsqu’il en révèle l’essence, le caractère… Alors une voix seule est difficilement appréciable pour elle-même. Elle a d’ailleurs fait un test. S’est branchée sur d’autres ondes.
Aucun des mots, aucune des phrases qu’elle y a entendu ne l’a renvoyée à aucun visage, ni à aucune tonalité dont elle aurait pu dire qu’elle la trouvait séduisante.

Alors comment est-il possible que sa voix à lui lui soit si particulière à l’oreille, ainsi qu’aux autres sens… sont-ce les mots, les sons ou les significations qui l’atteignent en des sphères profondes, comme si le fait que cette voix, chaque jour dans l’espace se répande soit un signe qu’il lui faille attraper pour s’y accrocher comme une de ces rares bouées, sans lesquelles il ne lui serait sans doute pas envisageable de tenir.
Il y a cette voix. Il y a cette radio.
Et bientôt.
Et un jour, elle fera la connexion entre le poste et la réalité, entre la voix et l’homme, entre les mots et la sincérité qu’elle saura bien débusquer.

Souvent bien sûr, elle continue de croire que cette voix n’est celle de personne, c’est plaisant et douloureux à la fois. Souvent elle s’imagine que rien n’est vrai, qu’elle a une famille et une vraie filiation, qu’elle en a toujours eu. Qu’elle n’est pas arrivée là par hasard pour qu’un sens un jour lui soit donné…Souvent elle s’imagine donc que Gaspard Falk, l’homme de la voix n’existe pas vraiment, alors qu’elle-même est bien réelle. Etrange inversion…

jeudi 21 juin 2007

Petits éclairs au chocolat

Un jour moins sombre un homme sort d’un immeuble. Il porte un imperméable gris et aucun sourire n’éclaire son visage. De la souffrance, en veux-tu en voilà.
Pourrait-être le slogan que l’on apposerait sous une photographie de l’homme. Il n’est pourtant pas vieux. Mais son expression est des plus graves, des plus opaques….
Cet homme semble avoir des choses à cacher. Il marche dans cette rue, s’éloigne et tourne finalement au coin. On ne le voit plus à présent.
Un rayon de soleil traverse le ciel et la rue.
Caroline arrive en courant. Son bus vient de passer. Oops. Dégage.
Hors d’haleine elle réalise qu’il est trop tard. Elle vient de rater le bus, il va bientôt faire nuit. La gare est loin et elle n’a pas envie de rejoindre sa banlieue. Une grande lassitude la submerge tout à coup, mais loin de l’anéantir, celle-ci se transforme finalement en amusement. Elle rirait presque.
C’est drôle au fond de se retrouver coincée ainsi à Paris, loin de sa banlieue pourrie. Elle imagine, si elle avait un amoureux, elle imagine… mais alors elle a soudain beaucoup moins envie de rire. C’est autre chose sans doute…
Un baiser que ne donnerait-elle pour un baiser… que ne donnerait-elle pour connaître le contact suave des lèvres et de la bouche d’un autre. La fraîcheur, la salive, ce qu’elle a lu, ce qu’elle n’a pas vécu. Surtout quelqu’un qui pense à elle… mais c’est évidemment impossible.Le trottoir brille de reste d’eau que vient illuminer un dernier rayon… elle avance et passe devant la vitrine d’une boulangerie, devanture à l’ancienne. Elle jette un regard rapide, il est huit heure, cela servira-t-il à quelque chose ?…

jeudi 7 juin 2007

Le jour où…

Ce jour, elle rentre de l’école, seule.
Il fait sombre, la nuit s’approche, l’oppresse déjà.
En passant devant le petit épicier situé en bas de chez elle ou presque, elle remarque de magnifiques pommes rouges, brillantes, généreuses, réconfortantes. Avec un morceau d’emmenthal et un thé bien chaud, cela ferait un dîner parfait. L’idéal serait sans doute d’y ajouter du pain chaud, mais il n’est vraisemblablement pas l’heure du pain chaud.
C’est dommage…
Une fois chez elle, elle s’installe sur sa minuscule table de bistrot, un mot russe qui signifie vite, et déballe les quelques pommes qui roulent vers la fenêtre sans faire de bruit.

Elle n’a pas vraiment envie de travailler ce soir, et pourtant il faudra bien.
Seuls les toits de Paris l’appellent, un toit en particulier, à l’aplomb inversé duquel un être éventuellement se trouve. Eventuellement seul, au milieu d’un studio désert, d’un îlot de technologie entouré de pierres centenaires et d’idées immortelles. Seul à concevoir des plans, des mots, des bulles de monde meilleur. Aujourd’hui elle n’a pas pu recevoir les ondes de radio L. Radio elle. Radio…
Les pommes rouges, tendres amies.
Le lit blanc l’appelle aussi, lutte contre les toits et le devoir. Mais elle n’a pas le droit de le rejoindre, de se blottir contre cet oreiller ami, contre ce coton doux qui est la seule famille qu’elle connaisse…
Son corps travaille seul, indépendamment de sa tête qui s’interdit toute sorte de pensée qui échappe à ce qu’elle connaît. Seul un peu de réconfort lui manque à l’évidence.
Elle croque dans une pomme et laisse à nouveau son esprit s’échapper…
Aujourd’hui à l’école, une fille qu’elle connaît un peu lui a demandé pourquoi elle ne s’achetait pas une télé. Elle lui a dit que c’était sympa d’avoir une télé lorsqu’on vit seul. Depuis l’idée lui trotte dans la tête. Une autre a ajouté qu’elle ferait mieux de se prendre un abonnement Internet.
« Internet c’est la fin de la solitude » a-t-elle conclu.

Internet la fin de la solitude, quelle drôle d’idée… la solitude est une chose tellement profonde, tellement vivante qu’un élément aussi virtuel, aussi ténu qu’une connexion, fut-ce avec la terre entière ne peut sans doute en rien la combler.
La solitude est aussi pour elle une chose tellement indispensable, à laquelle elle ne peut, elle n’a le droit d’échapper, qu’il lui semblerait totalement incongru soudain d’y trouver un remède.
Non
Seule tu es apparue
Seule tu dois rester

Mais ces picotements dans le ventre ne se calment pas… Elle ouvre son cahier, regarde un peu, tout en respirant très fort, de quoi il s’agira ce soir… la douleur s’épaissit. Peut-être est-ce simplement la faim.

Prise par une pulsion qu’elle ne contrôle pas elle se lève et se dirige vers son placard, en ouvre la porte, s’accroupit, puis après avoir fouillé quelques temps en sort un petit sac plein de billets. Alors elle s’assoit par terre et patiemment se met à compter.

jeudi 31 mai 2007

Dans la rue

Chaque fois qu’elle y pense, si l’heure est la bonne, elle allume le petit poste qui date de la guerre. Et elle regarde au loin, par delà les cimes encrassées d’un ciel parisien dont la poésie qui lui est pourtant tout à fait étrangère, chaque jour lui procure un pincement au cœur. Ce cœur dont elle ne connaît pas vraiment l’usage.
Elle écoute les sons, les voix, les mots, les idées, la vague imprécation qu’elle croit entendre derrière tout cela tout en regardant la toiture d’où lui viennent ces échos. Patiemment, consciencieusement elle se transporte jusqu’à ce lieu, jusqu’à cette antenne d’où lui proviennent les mots, les sons, le souffle… elle écoute tout en volant doucement, telle un simple suaire dont l’insignifiante matière peut pour un temps disparaître ou perdre toute masse. Alors elle se rapproche de lui, de cette âme, de leur convergence. Elle inspire de tout son être afin de recevoir sans rien en perdre tout le message que la voix lui destine.
Elle n’en doute pas. Les mots, ses mots sont pour elle.
Une petite personne de vingt ans tout au plus qui vit seule sous les toits, n’a presque aucun ami, aucun contact sinon ses livres qu’elle ne lit pas toujours, se contente de les toucher ou de les presser contre son cœur, longuement en en respirant l’odeur surannée, qui exprime toute la fragilité d’une pensée qui peut disparaître en un instant s’évanouir en confettis de papier jaunis par trop de temps et d’oubli.
Par trop d’injustice aussi.

mercredi 30 mai 2007

3 pages

d’après sa voix donc. Mais pour cela, il aurait fallu qu’il parle. Qu’en sortant du bâtiment légèrement caché à la vue du passant, il trouve une occasion de dire, de laisser sortir faiblement quelques sons de sa bouche. Et encore, il paraît qu’ils utilisent des filtres. C’est plus sûr sans doute.
Et puis, que lui aurait-elle dit ?
Se serait-elle réellement approchée, et lui aurait-elle ensuite parlé de son goût pour les choses qu’ils évoquaient, pour les actions qu’ils incitaient, pour les vérités cachées qu’ils dévoilaient ?
Non bien sûr.

Jamais elle n’aurait été capable de pareille effronterie qui l’aurait sans doute placée dans une situation indélicate.

Peut-être aurait-il été plus intelligent de tenter de capter son attention. Se placer dans un coin, un morceau de trottoir et attendre. Attendre qu’il la remarque, que contre toute attente il la devine et la reconnaisse. Leurs regards se croisent et il s’approche.

Non, il ne le fait pas. Il est timide. Il attend.


Tandis que l’esprit de la jeune femme vaque à toutes ces extrapolations stériles, la bouilloire commence à laisser échapper une vapeur qui ne tarde pas à envahir l’espace et lui rappelle qu’elle doit se faire un thé.
Affectés par l’humidité du toit, les papiers peints déjà s’écornent. Que ne prend-elle soin de ce petit coin de chez elle ? que ne prend-elle soin des choses, objets, lieux, et autres… ?
Elle retire le sachet de la tasse et va se pencher à la fenêtre, cette minuscule lucarne en chien assis d’où elle devine le toit du lieu qui deviendra peut-être un élément important de l’histoire.

lundi 28 mai 2007

Où il est si difficile d'écrire

Elle aurait été une fan d’une radio très en vue.
Il en aurait été un des présentateurs vedette.

C’aurait été ainsi, s’ils ne s’étaient rencontrés dans une association peu fréquentable. Mais voilà ce ne fut pas vraiment ainsi. Pourtant… que se serait-il passé… ?

Elle n’aurait pas vraiment été fan. Fan n’est pas un qualificatif pour elle. Fan, n’est pas pour les gens à qui une fierté exacerbée interdit toute subordination, fan n’est pas pour des personnes qui bien qu’à la limite de l’invisibilité se sentent malgré tout des aspirations vers le haut, ou au moins vers une égalité très orwellienne. Non, elle n’aurait pas été fan, elle aurait simplement été troublée. Troublée par une voix associée à un nom improbable. Troublée de l’entendre chaque jour, sorte de mélodie discrète et détachée de tout visage, uniquement rapportable à ce nom, qui sonnait un peu comme une blague. Troublée de savoir que le lieu d’où cette voix était émise au réceptacle d’un commun de mortels cependant avides de recevoir ces rares informations que seul ce médium un peu exceptionnel fournissait à la discrétion de ses quelques auditeurs, se situait à quelques mètres de chez elle. Elle aurait pu s’y rendre, et bien que soupçonnant qu’aucun des présentateurs de cette radio un peu particulière n’existât ailleurs que dans son esprit dès lors malade, le rencontrer, le deviner d’après sa voix.

by V'sblogblob

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