jeudi 28 juin 2007

Indigeste

La table est dressée. Une chaleureuse et délicate odeur se répand depuis la cuisine d’où proviennent des voix de femme. Elles s’affairent tout en discutant, échangent leurs inquiétudes comme les banalités qui traversent leur vie. Le fils de celle-ci trouvera-t-il un jour une femme ? et la fille de celle-là qui veut partir, s’émanciper ? qui sait ce qui l’attend…
Les hommes eux attendent patiemment au salon. A peine prononcent-ils quelques mots. Ils savent que s’ils parlent la réalité sortira de leur bouche. Et cette réalité leur est interdite.
Parce qu’ils sont pères de famille, leur charge est de continuer à avancer, à faire tenir cet équilibre précaire, surtout en ces périodes torturées. Ils n’ont donc pas le droit de s’inquiéter ; ils n’ont pas le droit de voir.
Aussi, lorsque les femmes évoquent l’ombre qui les préoccupe au fond plus que tout le reste font-ils semblant de ne pas y croire. Evoquent le passé comme s’il pouvait aussi servir d’avenir… Comme si le danger que perçoivent les femmes pouvait être évité. Les contourner doucement, et… les épargner.
Bien sûr, il faut croire en l’avenir, y croire et s’en convaincre, c’est le seul moyen évidemment de continuer à vivre, sinon comment faire ? N’a-t-on pas toujours fait ainsi ?

Comment faire lorsque l’on est un père ou que l’on est une mère. Plus que de la vigilance, plus que de l’intelligence, plus que de la clairvoyance on vous demande de poursuivre… de poursuivre avec les enfants.
Certains ont su les protéger. Partir à temps en croyant au pire et en s’y accrochant comme un devoir. Ne jamais oublier que certaines choses progressent même si on ne les a pas face à soi, qu’une fois qu’elles sont enclenchées, il est très rare de pouvoir les éviter.
Ne fallait-il pas une bonne dose de pessimisme pour oser croire qu’en restant on mourrait ?
Ne fallait-il pas avoir perdu la confiance en ses rêves d’enfant ?

Les femmes sortent finalement de la cuisine, le sourire imposé aux lèvres et les bras chargés de cette nourriture réconfortante, de ces fêtes où l’on partage, où l’on se souvient, où l’on ressent comme des millions d’autres une sorte de permanence.
Alors on demande aux enfants d’aller se laver les mains avant de passer à table.
Ce soir encore on évitera de voir ou d’entendre. L’Allemagne restera un pays lointain, très lointain, dont les perfides velléités ne peuvent pas nous atteindre…

lundi 25 juin 2007

S.N.O.Bproject

De nouveau dans la petite chambre de bonnes, elle essaie de reconstituer les choses.
La voix est une chose étrange, surtout lorsqu’elle précède l’être.
Ce n’est pas que celle-ci soit particulièrement belle, à bien y réfléchir il est difficile d’aimer une voix pour elle-même, souvent le visage et l’expression dont elle se fait messagère deviennent indispensables à ce que l’on réalise que l’on en aime la tonalité, le grain parfois… Pour les chanteurs c’est différent sans doute. Mais apprécierait-on autant sa voix s’il n’y avait pas Jean-Louis Trintignant derrière ?
Ou Chiara Mastroiani et ce phrasé tout à fait particulier doux et nonchalant emprunt d’une petite pointe de chic parisien, une voix de bobo en somme, dans le bon sens du terme…

La liste pourrait être longue et finalement, c’est peut-être le visage que l’on apprécie dans la voix, lorsqu’il en révèle l’essence, le caractère… Alors une voix seule est difficilement appréciable pour elle-même. Elle a d’ailleurs fait un test. S’est branchée sur d’autres ondes.
Aucun des mots, aucune des phrases qu’elle y a entendu ne l’a renvoyée à aucun visage, ni à aucune tonalité dont elle aurait pu dire qu’elle la trouvait séduisante.

Alors comment est-il possible que sa voix à lui lui soit si particulière à l’oreille, ainsi qu’aux autres sens… sont-ce les mots, les sons ou les significations qui l’atteignent en des sphères profondes, comme si le fait que cette voix, chaque jour dans l’espace se répande soit un signe qu’il lui faille attraper pour s’y accrocher comme une de ces rares bouées, sans lesquelles il ne lui serait sans doute pas envisageable de tenir.
Il y a cette voix. Il y a cette radio.
Et bientôt.
Et un jour, elle fera la connexion entre le poste et la réalité, entre la voix et l’homme, entre les mots et la sincérité qu’elle saura bien débusquer.

Souvent bien sûr, elle continue de croire que cette voix n’est celle de personne, c’est plaisant et douloureux à la fois. Souvent elle s’imagine que rien n’est vrai, qu’elle a une famille et une vraie filiation, qu’elle en a toujours eu. Qu’elle n’est pas arrivée là par hasard pour qu’un sens un jour lui soit donné…Souvent elle s’imagine donc que Gaspard Falk, l’homme de la voix n’existe pas vraiment, alors qu’elle-même est bien réelle. Etrange inversion…

jeudi 21 juin 2007

Petits éclairs au chocolat

Un jour moins sombre un homme sort d’un immeuble. Il porte un imperméable gris et aucun sourire n’éclaire son visage. De la souffrance, en veux-tu en voilà.
Pourrait-être le slogan que l’on apposerait sous une photographie de l’homme. Il n’est pourtant pas vieux. Mais son expression est des plus graves, des plus opaques….
Cet homme semble avoir des choses à cacher. Il marche dans cette rue, s’éloigne et tourne finalement au coin. On ne le voit plus à présent.
Un rayon de soleil traverse le ciel et la rue.
Caroline arrive en courant. Son bus vient de passer. Oops. Dégage.
Hors d’haleine elle réalise qu’il est trop tard. Elle vient de rater le bus, il va bientôt faire nuit. La gare est loin et elle n’a pas envie de rejoindre sa banlieue. Une grande lassitude la submerge tout à coup, mais loin de l’anéantir, celle-ci se transforme finalement en amusement. Elle rirait presque.
C’est drôle au fond de se retrouver coincée ainsi à Paris, loin de sa banlieue pourrie. Elle imagine, si elle avait un amoureux, elle imagine… mais alors elle a soudain beaucoup moins envie de rire. C’est autre chose sans doute…
Un baiser que ne donnerait-elle pour un baiser… que ne donnerait-elle pour connaître le contact suave des lèvres et de la bouche d’un autre. La fraîcheur, la salive, ce qu’elle a lu, ce qu’elle n’a pas vécu. Surtout quelqu’un qui pense à elle… mais c’est évidemment impossible.Le trottoir brille de reste d’eau que vient illuminer un dernier rayon… elle avance et passe devant la vitrine d’une boulangerie, devanture à l’ancienne. Elle jette un regard rapide, il est huit heure, cela servira-t-il à quelque chose ?…

jeudi 7 juin 2007

Le jour où…

Ce jour, elle rentre de l’école, seule.
Il fait sombre, la nuit s’approche, l’oppresse déjà.
En passant devant le petit épicier situé en bas de chez elle ou presque, elle remarque de magnifiques pommes rouges, brillantes, généreuses, réconfortantes. Avec un morceau d’emmenthal et un thé bien chaud, cela ferait un dîner parfait. L’idéal serait sans doute d’y ajouter du pain chaud, mais il n’est vraisemblablement pas l’heure du pain chaud.
C’est dommage…
Une fois chez elle, elle s’installe sur sa minuscule table de bistrot, un mot russe qui signifie vite, et déballe les quelques pommes qui roulent vers la fenêtre sans faire de bruit.

Elle n’a pas vraiment envie de travailler ce soir, et pourtant il faudra bien.
Seuls les toits de Paris l’appellent, un toit en particulier, à l’aplomb inversé duquel un être éventuellement se trouve. Eventuellement seul, au milieu d’un studio désert, d’un îlot de technologie entouré de pierres centenaires et d’idées immortelles. Seul à concevoir des plans, des mots, des bulles de monde meilleur. Aujourd’hui elle n’a pas pu recevoir les ondes de radio L. Radio elle. Radio…
Les pommes rouges, tendres amies.
Le lit blanc l’appelle aussi, lutte contre les toits et le devoir. Mais elle n’a pas le droit de le rejoindre, de se blottir contre cet oreiller ami, contre ce coton doux qui est la seule famille qu’elle connaisse…
Son corps travaille seul, indépendamment de sa tête qui s’interdit toute sorte de pensée qui échappe à ce qu’elle connaît. Seul un peu de réconfort lui manque à l’évidence.
Elle croque dans une pomme et laisse à nouveau son esprit s’échapper…
Aujourd’hui à l’école, une fille qu’elle connaît un peu lui a demandé pourquoi elle ne s’achetait pas une télé. Elle lui a dit que c’était sympa d’avoir une télé lorsqu’on vit seul. Depuis l’idée lui trotte dans la tête. Une autre a ajouté qu’elle ferait mieux de se prendre un abonnement Internet.
« Internet c’est la fin de la solitude » a-t-elle conclu.

Internet la fin de la solitude, quelle drôle d’idée… la solitude est une chose tellement profonde, tellement vivante qu’un élément aussi virtuel, aussi ténu qu’une connexion, fut-ce avec la terre entière ne peut sans doute en rien la combler.
La solitude est aussi pour elle une chose tellement indispensable, à laquelle elle ne peut, elle n’a le droit d’échapper, qu’il lui semblerait totalement incongru soudain d’y trouver un remède.
Non
Seule tu es apparue
Seule tu dois rester

Mais ces picotements dans le ventre ne se calment pas… Elle ouvre son cahier, regarde un peu, tout en respirant très fort, de quoi il s’agira ce soir… la douleur s’épaissit. Peut-être est-ce simplement la faim.

Prise par une pulsion qu’elle ne contrôle pas elle se lève et se dirige vers son placard, en ouvre la porte, s’accroupit, puis après avoir fouillé quelques temps en sort un petit sac plein de billets. Alors elle s’assoit par terre et patiemment se met à compter.

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