jeudi 7 juin 2007

Le jour où…

Ce jour, elle rentre de l’école, seule.
Il fait sombre, la nuit s’approche, l’oppresse déjà.
En passant devant le petit épicier situé en bas de chez elle ou presque, elle remarque de magnifiques pommes rouges, brillantes, généreuses, réconfortantes. Avec un morceau d’emmenthal et un thé bien chaud, cela ferait un dîner parfait. L’idéal serait sans doute d’y ajouter du pain chaud, mais il n’est vraisemblablement pas l’heure du pain chaud.
C’est dommage…
Une fois chez elle, elle s’installe sur sa minuscule table de bistrot, un mot russe qui signifie vite, et déballe les quelques pommes qui roulent vers la fenêtre sans faire de bruit.

Elle n’a pas vraiment envie de travailler ce soir, et pourtant il faudra bien.
Seuls les toits de Paris l’appellent, un toit en particulier, à l’aplomb inversé duquel un être éventuellement se trouve. Eventuellement seul, au milieu d’un studio désert, d’un îlot de technologie entouré de pierres centenaires et d’idées immortelles. Seul à concevoir des plans, des mots, des bulles de monde meilleur. Aujourd’hui elle n’a pas pu recevoir les ondes de radio L. Radio elle. Radio…
Les pommes rouges, tendres amies.
Le lit blanc l’appelle aussi, lutte contre les toits et le devoir. Mais elle n’a pas le droit de le rejoindre, de se blottir contre cet oreiller ami, contre ce coton doux qui est la seule famille qu’elle connaisse…
Son corps travaille seul, indépendamment de sa tête qui s’interdit toute sorte de pensée qui échappe à ce qu’elle connaît. Seul un peu de réconfort lui manque à l’évidence.
Elle croque dans une pomme et laisse à nouveau son esprit s’échapper…
Aujourd’hui à l’école, une fille qu’elle connaît un peu lui a demandé pourquoi elle ne s’achetait pas une télé. Elle lui a dit que c’était sympa d’avoir une télé lorsqu’on vit seul. Depuis l’idée lui trotte dans la tête. Une autre a ajouté qu’elle ferait mieux de se prendre un abonnement Internet.
« Internet c’est la fin de la solitude » a-t-elle conclu.

Internet la fin de la solitude, quelle drôle d’idée… la solitude est une chose tellement profonde, tellement vivante qu’un élément aussi virtuel, aussi ténu qu’une connexion, fut-ce avec la terre entière ne peut sans doute en rien la combler.
La solitude est aussi pour elle une chose tellement indispensable, à laquelle elle ne peut, elle n’a le droit d’échapper, qu’il lui semblerait totalement incongru soudain d’y trouver un remède.
Non
Seule tu es apparue
Seule tu dois rester

Mais ces picotements dans le ventre ne se calment pas… Elle ouvre son cahier, regarde un peu, tout en respirant très fort, de quoi il s’agira ce soir… la douleur s’épaissit. Peut-être est-ce simplement la faim.

Prise par une pulsion qu’elle ne contrôle pas elle se lève et se dirige vers son placard, en ouvre la porte, s’accroupit, puis après avoir fouillé quelques temps en sort un petit sac plein de billets. Alors elle s’assoit par terre et patiemment se met à compter.

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