jeudi 31 mai 2007

Dans la rue

Chaque fois qu’elle y pense, si l’heure est la bonne, elle allume le petit poste qui date de la guerre. Et elle regarde au loin, par delà les cimes encrassées d’un ciel parisien dont la poésie qui lui est pourtant tout à fait étrangère, chaque jour lui procure un pincement au cœur. Ce cœur dont elle ne connaît pas vraiment l’usage.
Elle écoute les sons, les voix, les mots, les idées, la vague imprécation qu’elle croit entendre derrière tout cela tout en regardant la toiture d’où lui viennent ces échos. Patiemment, consciencieusement elle se transporte jusqu’à ce lieu, jusqu’à cette antenne d’où lui proviennent les mots, les sons, le souffle… elle écoute tout en volant doucement, telle un simple suaire dont l’insignifiante matière peut pour un temps disparaître ou perdre toute masse. Alors elle se rapproche de lui, de cette âme, de leur convergence. Elle inspire de tout son être afin de recevoir sans rien en perdre tout le message que la voix lui destine.
Elle n’en doute pas. Les mots, ses mots sont pour elle.
Une petite personne de vingt ans tout au plus qui vit seule sous les toits, n’a presque aucun ami, aucun contact sinon ses livres qu’elle ne lit pas toujours, se contente de les toucher ou de les presser contre son cœur, longuement en en respirant l’odeur surannée, qui exprime toute la fragilité d’une pensée qui peut disparaître en un instant s’évanouir en confettis de papier jaunis par trop de temps et d’oubli.
Par trop d’injustice aussi.

mercredi 30 mai 2007

3 pages

d’après sa voix donc. Mais pour cela, il aurait fallu qu’il parle. Qu’en sortant du bâtiment légèrement caché à la vue du passant, il trouve une occasion de dire, de laisser sortir faiblement quelques sons de sa bouche. Et encore, il paraît qu’ils utilisent des filtres. C’est plus sûr sans doute.
Et puis, que lui aurait-elle dit ?
Se serait-elle réellement approchée, et lui aurait-elle ensuite parlé de son goût pour les choses qu’ils évoquaient, pour les actions qu’ils incitaient, pour les vérités cachées qu’ils dévoilaient ?
Non bien sûr.

Jamais elle n’aurait été capable de pareille effronterie qui l’aurait sans doute placée dans une situation indélicate.

Peut-être aurait-il été plus intelligent de tenter de capter son attention. Se placer dans un coin, un morceau de trottoir et attendre. Attendre qu’il la remarque, que contre toute attente il la devine et la reconnaisse. Leurs regards se croisent et il s’approche.

Non, il ne le fait pas. Il est timide. Il attend.


Tandis que l’esprit de la jeune femme vaque à toutes ces extrapolations stériles, la bouilloire commence à laisser échapper une vapeur qui ne tarde pas à envahir l’espace et lui rappelle qu’elle doit se faire un thé.
Affectés par l’humidité du toit, les papiers peints déjà s’écornent. Que ne prend-elle soin de ce petit coin de chez elle ? que ne prend-elle soin des choses, objets, lieux, et autres… ?
Elle retire le sachet de la tasse et va se pencher à la fenêtre, cette minuscule lucarne en chien assis d’où elle devine le toit du lieu qui deviendra peut-être un élément important de l’histoire.

lundi 28 mai 2007

Où il est si difficile d'écrire

Elle aurait été une fan d’une radio très en vue.
Il en aurait été un des présentateurs vedette.

C’aurait été ainsi, s’ils ne s’étaient rencontrés dans une association peu fréquentable. Mais voilà ce ne fut pas vraiment ainsi. Pourtant… que se serait-il passé… ?

Elle n’aurait pas vraiment été fan. Fan n’est pas un qualificatif pour elle. Fan, n’est pas pour les gens à qui une fierté exacerbée interdit toute subordination, fan n’est pas pour des personnes qui bien qu’à la limite de l’invisibilité se sentent malgré tout des aspirations vers le haut, ou au moins vers une égalité très orwellienne. Non, elle n’aurait pas été fan, elle aurait simplement été troublée. Troublée par une voix associée à un nom improbable. Troublée de l’entendre chaque jour, sorte de mélodie discrète et détachée de tout visage, uniquement rapportable à ce nom, qui sonnait un peu comme une blague. Troublée de savoir que le lieu d’où cette voix était émise au réceptacle d’un commun de mortels cependant avides de recevoir ces rares informations que seul ce médium un peu exceptionnel fournissait à la discrétion de ses quelques auditeurs, se situait à quelques mètres de chez elle. Elle aurait pu s’y rendre, et bien que soupçonnant qu’aucun des présentateurs de cette radio un peu particulière n’existât ailleurs que dans son esprit dès lors malade, le rencontrer, le deviner d’après sa voix.

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