jeudi 31 mai 2007

Dans la rue

Chaque fois qu’elle y pense, si l’heure est la bonne, elle allume le petit poste qui date de la guerre. Et elle regarde au loin, par delà les cimes encrassées d’un ciel parisien dont la poésie qui lui est pourtant tout à fait étrangère, chaque jour lui procure un pincement au cœur. Ce cœur dont elle ne connaît pas vraiment l’usage.
Elle écoute les sons, les voix, les mots, les idées, la vague imprécation qu’elle croit entendre derrière tout cela tout en regardant la toiture d’où lui viennent ces échos. Patiemment, consciencieusement elle se transporte jusqu’à ce lieu, jusqu’à cette antenne d’où lui proviennent les mots, les sons, le souffle… elle écoute tout en volant doucement, telle un simple suaire dont l’insignifiante matière peut pour un temps disparaître ou perdre toute masse. Alors elle se rapproche de lui, de cette âme, de leur convergence. Elle inspire de tout son être afin de recevoir sans rien en perdre tout le message que la voix lui destine.
Elle n’en doute pas. Les mots, ses mots sont pour elle.
Une petite personne de vingt ans tout au plus qui vit seule sous les toits, n’a presque aucun ami, aucun contact sinon ses livres qu’elle ne lit pas toujours, se contente de les toucher ou de les presser contre son cœur, longuement en en respirant l’odeur surannée, qui exprime toute la fragilité d’une pensée qui peut disparaître en un instant s’évanouir en confettis de papier jaunis par trop de temps et d’oubli.
Par trop d’injustice aussi.

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